2024

Sylvain Tesson

Dans les forêts de Sibérie, 2011                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

"Giono pratique l’inversion des valeurs en vigueur chez tous les êtres convertis aux lois naturelles. Il personnifie les choses et naturalise l’homme. Chez lui les fleuves ont des jambes et les coureurs des bois des corps comme des rochers."

Jean Giono

Le hussard sur le toit , 1951

"La montée régulière de la chaleur bourdonnait comme d'une chaufferie impitoyablement bourrée de charbon. Le tronc des chênes craquait. Dans le sous-bois sec et nu comme un parquet d'église, inondé de cette lumière blanche sans éclat mais qui aveuglait par sa pulvérulence, la marche du cheval faisait tourner lentement de longs rayons noirs. La route qui serpentait à coups de reins de plus en plus raides pour se hisser à travers de vieux rochers couverts de lichens blancs frappait parfois de la tête du côté du soleil. Alors, dans le ciel de craie s'ouvrait une sorte de gouffre d'une phosphorescence inouie d'où soufflait une haleine de four et de fièvre, visqueuse, dont on voyait trembler le gluant et le gras. Les arbres énormes disparaissaient dans cet éblouissement; de grands quartiers de forêts engloutis dans la lumière n'apparaissaient plus que comme de vagues feuillages de cendre, sans contours, vagues formes presque transparentes et que la chaleur recouvrait brusquement d'un lent remous de viscosités luisantes. Puis la route tournait vers l'ouest et, soudain rétrécie à la dimension du chemin muletier qu'elle était devenue, elle était pressée d'arbres violents et vifs aux troncs soutenus de piliers d'or, aux branches tordues par des tiges d'or crépitantes, aux feuilles immobiles toutes dorées comme de petits miroirs sertis de minces fils d'or qui en épousaient tous les contours."

2023

Martine Chalvet

Une histoire de la forêt , 2021

"Au haut Moyen Âge, les produits boisés jouissaient d'un prestige plus grand que la pierre et, surtout, que le fer. Cette faveur témoigne bien d'une certaine adaptation des populations à l'extension des surfaces de la silva. Pour Michel Pastoureau, elle correspond aussi à un système de représentation et à une préférence culturelle. Envisagé comme un organisme vivant, le bois était privilégié face aux matières mortes que sont la pierre et le métal. S'il restait moins résistant, il paraissait plus pur, plus noble et surtout plus proche de l'homme. Ce caractère anthropomorphe des arbres, vus comme des êtres de chair dotés de veines et d'un véritable cycle de vie, était alors valorisé par rapport à la pierre inerte et au métal froid."


Olivier Babeau

La tyranie du divertissement, 2023                                                                                                                                                                                                                                                                                                   

"Jean-Sébastien Bach était orphelin à l'âge de 9 ans. Il a vu mourir sa première femme et dix de ses vingt enfants. Un cas tout à fait banal au début du XvIIIe siècle, où l'espérance de vie à la naissance ne dépassait pas 25 ans. On peine à se figurer la précarité et la dureté de l'existence humaine autrefois. Jusqu'aux fantastiques progrès médicaux des deux cents dernières années, survivre à son enfance était un premier défi, mais de loin pas le dernier. L'histoire était marquée par des épidémies massives et des guerres quasi permanentes. Ce monde faisait appel à deux sortes de courage. Le premier, héroïque, était celui de ceux qui trouvaient la force de combattre l'adversité, de surmonter les épreuves innombrables qui ne manquaient pas de se présenter. Le second, philosophique, était la force de l'acceptation heureuse de son destin, aussi pénible soit-il. La société d'abondance dans laquelle nous vivons a fait naître une troisième sorte de courage inattendue. Ce courage n'est plus la résistance aux épreuves ni l'acceptation des contraintes de la vie, mais celui de résister à soi."

Giuliano da Empoli

Le mage du Kremlin, 2022                                                                                                                                                                                                                                                                                                   

"Le scénario était toujours le même : Ksenia commençait, les yeux en fentes, par vous insulter sauvagement, déversant sur vous la rage impuissante qu'elle avait accumulée depuis le jour de sa naissance. Votre réaction lui était indifférente. Si vous restiez tranquille, le flux des insultes continuait, se gonflait, se nourrissant de votre passivité comme preuve ultime de votre pusillanimité. Si vous réagissiez, que vous essayiez de répondre, ou finalement sortiez de vos gonds, le résultat etait le même et Ksenia utilisait vos réponses comme matériau pour de nouvelles invectives. Puis, comme une averse, la rage cessait, et Ksenia perdait jusqu'au souvenir de ce qu'elle avait dit. Elle vous voyait contrarié et elle vous en demandait la raison. Parfois elle vous gratifiait d'une étreinte. Elle avait besoin d'être consolée; une enfant atterrée que rien, jamais, ne pourrait rassurer."

Solange Bied Charreton

L'acceptation , 2023

"Quelques compatriotes partaient aussi là-bas pour marcher sac au dos. Au cours des années 2010, la destination froide, presque désertique, et l'aridité de la langue islandaise s'étaient peu à peu transformées en gage de snobisme, une manière d'opérer une distinction avec des prolos trop pressés de contracter leur cancer de la peau en s'envolant pour Naxos ou Djerba. Les Islandais étaient des gens ouverts, respectueux et soudés - ces gratuités revenaient régulièrement. Cependant, le filon fut rapidement connu ; le voyage en Islande ne revêtit plus rien d'exceptionnel, encore moins de dangereux. Sanatorium à ciel ouvert, la destination se mit à relever de l'originalité incontournable. Ce qu'elle vendait aux bourgeois, plus précisément aux néo-bourgeois, leur corollaire, qui poursuivaient dans le fétichisme de la matière brute leur désir de simplicité, c'était la version luxe de ce qu'on vendait aux autres. Un conformisme de la rareté, taillé sur mesure."


Le Royaume désuni

Jonathan Coe, 2022


Jamais frères ?

Anna Colin Lebedev, 2022

"Depuis quelques années, la nature postimpériale de l'État russe semble une évidence. En revanche, parler de sa dimension coloniale suscite un malaise chez les intellectuels. Notre réserve vient à la fois de nos propres expériences qui ont forgé une certaine conception du colonialisme, de notre méconnaissance de la diversité de la Russie et du contenu de ses politiques ethniques, mais aussi de l'image que nos sociétés, et notamment les milieux de gauche, ont eue du projet soviétique. L'Union soviétique, bien qu'héritière et porteuse d'un projet impérial, s'est déclarée anti-impérialiste. Alliée des pays en voie de décolonisation, au nom d'une libération des citoyens de l'oppression, pouvait-elle simultanément être coloniale à l'intérieur de ses frontières? L'égalité formelle des droits et la promotion des langues et cultures régionales ne réfutaient-elles pas l'idée même d'une colonisation ? L'absence de discrimination des citoyens sur un principe ethnique n'était-elle pas une preuve suffisante de l'absence d'une dimension coloniale ?"

Le passeport de monsieur Nansen

Alexis Jenni, 2022

"Le bruit. Le navire était environné de glaçons dont la taille variait, cing, dix, quinze mètres, qui se balançaient sur les vagues noires, se heurtaient, heurtaient le navire, et le navire en avançant les heurtait à son tour, il avait été bâti pour cela, pour pousser hors de son chemin les blocs de plusieurs dizaines de tonnes qui flottaient autour de lui comme des bouchons sur les vagues. Les chocs étaient violents, le navire tremblait, les hommes debout sur le pont vacillaient et parfois tombaient. « Ces blocs, nul n'en sait le lieu d'origine et le mode de formation. Selon toute vraisemblance, ils viennent de la partie la plus septentrionale de l'océan polaire, où nul navire n'a encore pénétré. » On imagine bien que tout cela vient du Nord, du froid, mais signaler cette trivialité avec emphase est une façon littéraire et vibrante d'évoquer les bords mystérieux du monde. Mare incognita, terra nullius, Hyperborée: c'est ce dont il veut parler, c'est exactement la qu'ils vont."

2022

Et si l'Ukraine libérait la Russie ?

André Markowicz, 2022

"Le régime de Poutine est la honte de la Russie - une honte qui vient après bien d'autres hontes, bien sûr, mais une honte particulièrement atroce, parce qu'il a inversé le paradigme fondateur de l'image de son pays dans le monde : le pays qui avait sauvé le monde du nazisme envahit un pays démocratique pour le libérer, prétendument, du nazisme. Le régime de Poutine a fait de la Russie un pays non pas seulement craint, mais haï. Il a sali, au nom de la défense du « monde russe », l’image de la Russie et de sa culture."

La vie des plantes

Emanuele Coccia, 2016

"Il est désormais tout à fait naturel pour quelqu'un qui se prétend philosophe, de connaître les plus insignifiants événements du passé de sa nation alors qu'il ignore les noms, la vie ou l'histoire des espèces animales et végétales dont il se nourrit quotidiennement. Mais, outre cet analphabétisme de retour, le refus de reconnaître toute dignité philosophique à la nature et au cosmos produit un étrange bovarysme : la philosophie cherche à tout prix à être humaine et humaniste, à être incluse parmi les sciences humaines et sociales, à être une science - mieux, une science normale - comme toutes les autres. En entremêlant de faux présupposés, des velléités superficielles et un moralisme écœurant, les philosophes se sont transformés en adeptes radicaux du credo protagoréen: « L'homme est la mesure de toute chose.» Privée de ses objets suprêmes, menacée par d'autres formes de savoir (peu importe qu'il s'agisse des sciences sociales ou des sciences naturelles), la philosophie s'est transformée en une sorte de Don Quichotte des connaissances contemporaines, engagée dans une lutte imaginaire contre des projections de son esprit; ou en un Narcisse replié sur les spectres de son passé, devenus des souvenirs vides de musée de province. Contrainte de s'occuper non pas du monde, mais des images plus ou moins arbitraires que les hommes ont produites dans le passé, elle est devenue une forme de scepticisme, souvent moralisé et réformiste."

Présent antérieur

Fanny Lambert, 2021

"Prenons le temps de ne pas nous connaître."

Un vagabond dans la langue

Matthieu Mével, 2021

"C'était la fin des vacances en Bretagne : on somnolait devant un documentaire animalier et je songeais combien la nature est le royaume de la souffrance à l'état pur. Ma fille Thea regardait l'antilope qui essayait d'échapper aux lions avec effroi. Je fermais les yeux pour échapper aux mouvements des hyènes qui encerclaient leur victime, comme devant un film d'horreur. Je déteste les groupes, les gangs et les films d'horreur. Voilà ce que je pensais, en prenant Thea dans mes bras.

« La littérature est une seconde parole qui prend soin de la tristesse de la nature. Elle veille sur l'état de la parole.» "

anéantir

Michel Houellebecq, 2022

"Sur la table de huit personnes, recouverte d'une nappe blanche, étaient posés un sandwich Daunat maxi-moelleux au blanc de poulet-emmental, encore dans son emballage, et une Tourtel. C'était donc le repas de Bruno ; son désintéressement au service de l'État forçait quand même le respect, se dit Paul."

2021

La plus secrète mémoire des hommes

Mohamed Mbougar Sarr,  2021

" devenir romancier. On m'avertissait : peut-être ne réussiras-tu jamais en littérature : peut-être finiras-tu aigri ! déçu ! marginalisé ! raté ! Oui, possible, disais-je. L'increvable « on » insistait : tu pourrais finir suicidé ! Oui, peut-être; mais la vie, rajoutais-je, n'est rien d'autre que le trait d'union du mot peut-être. Je tente de marcher sur ce mince tiret. Tant pis s'il cède sous mon poids : je verrai alors ce qui vit ou est crevé en dessous. Et puis je suggérais à « on » d'aller se faire mettre. Je lui disais : en littérature on ne réussit jamais, alors prends le train de la réussite et plante-le-toi où tu pourras."

Le voyant d'Etampes

Abel Quentin,  2021

" Ce que Jeanne voulait dire en m’accusant de « confisquer la voix » de ceux que nous défendions, je le sais aujourd’hui, à présent que je suis éveillé (woke, comme Ils disent) : elle en avait marre des alliés qui demandaient des médailles, elle en avait marre de la componction des mâles blancs autosatisfaits, elle en avait marre des hommes qui voudraient être félicités parce qu’ils n’attrapent pas les femmes par la chatte, qui voudraient être applaudis parce qu’ils ont battu le pavé avec un ami noir il y a trente ans de cela, elle en avait marre de la masculinité toxique des vieux soixante-huitards, elle en avait marre du paternalisme de gauche, elle en avait marre des filles à leur papa et peut-être en avait-elle déjà marre de Léonie, qui me regardait comme si j’étais Gilles Deleuze ou Roland Barthes alors que j’étais un vieux soiffard guignolesque. Un raté–et néanmoins un oppresseur, disait le regard courroucé de Jeanne."

Paris sous la terre

Solange Bied-Charreton,  2021

" On a toujours le sentiment que le métro freine plus qu'il n'avance. Peut-être ne fait-il que freiner, dépassé par une force qui le pousse à avancer, le conducteur comme le marin devant son gouvernail recherchant la maîtrise d'éléments plus puissants que lui."

Tyrans d'Afrique

Vincent Hugeux,  2021

" À l'instar des voies du Seigneur, les lois de la notoriété sont impénétrables. Exilé depuis janvier 2017 en Guinée équatoriale, l'ex-président gambien Yahya Jammeh apparaît comme l'un des tyrans subsahariens les plus méconnus, du moins hors d'Afrique. Sort injuste, tant cet ex-officier putschiste hargneux et fantasque, au pouvoir vingt deux années durant, aura mis d'ardeur à épuiser le catalogue des clichés du despotisme. La cruauté, l'arrogance, la paranoïa bien sûr. Mais ses autres travers lui confèrent en prime une aura aussi sépulcrale que romanesque."

Sortir de l'impasse postcoloniale

Philippe San Marco,  2016

"Ainsi en 1872 Jules Verne enthousiasmait des millions de lecteurs avec la publication du Tour du monde en 80 jours, un succès planétaire. La réalité faisant écho à la fiction, deux femmes, deux Américaines, deux reporters, l'une au New York World et l'autre au Cosmopolitan, avaient alors décidé de battre le record de Phileas Fogg. En 1889 une course folle, l'une contre l'autre, chacune de son côté, aucune n'étant accompagnée, se terminait par la victoire de Nelly Bly qui bouclait son tour du monde en 72 jours, une journée de moins que sa rivale Elisabeth Bisland. Le Tour du monde en 72 jours que publia ensuite Nelly Bly se vendit à plusieurs millions d'exemplaires dans le monde. Jules Vernes félicita la gagnante. Le désir d'aventures était donc immense et rend bien petit notre pauvre « KohLanta » du vendredi soir.

Frakas

Thomas Cantaloube,  2021

"Ils se vrillèrent tous dans cette direction et se figèrent comme des statues curieusement articulées. Ils aperçurent à la même seconde un éclat à l'horizon. Un engin mécanique arrivait droit sur eux, volant en rase-mottes au dessus de la saignée dans la jungle. Un hélicoptère kaki. À l'unisson, ils s'égayèrent vers les arbres dans un mouvement qui tenait plus de la panique que de la retraite ordonnée." 

La terre est une architecture

TVK,  2021

"Le programme de l'architecture est tragiquement simple: faire de la Terre un abri commun, dont la beauté viendrait de la forme familière et chaque jour changeante. Pour que le monde continue de se former sans se défaire." 

Manuwa street

Sophie Bouillon,  2021

""Chef, chef, ça sert à rien de s'énerver. C'est juste un drapeau, lui souffla son collègue armé d'une planche hérissée de clous. C'est un manifestant. Un vandale, trancha le chef, ventre bedonnant et sandales aux pieds. - Pas sûr. C'est peut-être juste un patriote, chef. Ça dépend si son drapeau est taché de sang ou pas.-Tu as raison..." Le chef de la police demanda au jeune garçon de s'approcher un peu plus près. "Hey toi! Est-ce qu'il y a du sang sur ton drapeau ?-No Sir! a crié le jeune homme en montrant son drapeau immaculé. -Alors, c'est bon. Tu peux le garder. Oya, passe ! Dépêche-toi." 

Où suis-je

Bruno Latour,  2021

"Voilà, vous avez atterri, vous vous êtes crashés, vous vous extrayez de ground zero, vous avancez masqués, c'est à peine si on l'entend votre voix: comme celle de Gregor, comme la mienne, c'est une sorte de borborygme. «Où suis-je»? Que faire ? Aller droit, comme le conseillait Descartes à ceux qui sont perdus dans une forêt? Mais non, vous devez vous disperser au maximum, en éventail, pour explorer toutes les capacités de survie, pour conspirer, autant que possible, avec les puissances d'agir qui ont rendu habitables les lieux où vous avez atterri. Sous la voûte du ciel, redevenue pesante, d'autres humains mêlés à d'autres matières forment d'autres peuples avec d'autres vivants. Ils s'émancipent enfin. Ils se déconfinent. Ils se métamorphosent."

Sans alcool

Claire Touzard,  2021

"La vérité est que boire mène toujours et irrémédiablement à un seul état : l'ivresse. Cela procure, certes, un plaisir considérable, parfois quasi sexuel, mais reste une sensation relativement immédiate qui n'apporte pas d'élévation de l'esprit. Il n'est en rien un art. Ni une philosophie. Il ne permet pas d'accéder à d'autres préhension du monde. Il bourre la gueule. Point barre."

L'autre art contemporain

Benjamin Olivennes, 2021

"En vérité le xx siècle, si l'on incorpore à son histoire les arts mineurs, est bien moins le siècle de l'abstraction ou du conceptuel que celui d'une figuration déchaînée. Il y a bien plus d'art, au sens d'un effort pour représenter le monde, dans la moindre série télévisée HBO que dans toute foire d'art contemporain, et personne ne s'y trompe. Ce n'est pas pour autant qu'il faille renoncer aux arts majeurs, au contraire : il faut se désoler qu'ils aient déserté le champ de bataille."

Ermites dans la taïga

Vassili Peskov, 1983

"La télévision. Elle est entrée chez les géologues l'an passé et l'on imagine avec quelle impatience on attendait la prochaine visite à la base du vieux et de sa fille. "Le spectacle était double, se souvient Erofei. Pour les Lykov, c'était la télévision ; pour tous les autres, c'étaient les Lykov devant la télévision." Ils s'intéressaient à tout: un train qui passe, des moissonneuses-batteuses dans un champ, les gens dans la rue ("Seigneur, qu'ils sont nombreux ! comme un nuage de moustiques !"), de grands immeubles, un navire. Le cœur d'Agafia chavira à l'image d'un cheval. "Un cheval ! Petit papa, un cheval !" Elle n'en avait jamais vu et ne les imaginait que par les récits. 

Cabinet de curiosités de l'histoire du monde

Christian Grataloup, 2020

"Le thé n'est donc pas arrivé au Maroc par la Méditerranée, mais par l'Atlantique, sur des bateaux européens, de façon anecdotique au XVIII" siècle, puis massivement au siècle suivant, lorsque les grandes maisons anglaises, comme Twining ou Lipton, s'étaient structurées et recherchaient des débouchés. Ce fut particulièrement le cas, de 1853 à 1856, lorsque le marché russe se ferma, du fait de la guerre de Crimée. Les entrepôts de Gibraltar, étape vers le grand port russe de la mer Noire, Odessa, débordait. Il fallait un débouché et le Maroc était tout près... Le thé fut donc ajouté à la boisson chaude traditionnelle de la Méditerranée occidentale, l'infusion de menthe (à l'Est, c'était plutôt la sauge qui était utilisée). C'est ainsi que naquit au milieu du XIX siècle une « tradition immémoriale » : le thé à la menthe, qu'il serait plus juste d'appeler de la menthe au thé.."

2020

Bouleversement

Jared Diamond, 2020

"Voila qui illustre une bien triste vérité : le succès n'est pas garanti aux gens honnêtes et bien intentionnés, ni forcément refusé aux méchants."

L'anomalie

Hervé Le Tellier, 2020

"La veille encore, l’uniforme lui a valu d’attirer les plus angoissés, que le bleu Air France rassurait, ou les plus irrités, en quête d’un fautif. Mais il n’est plus l’objet de toutes les hostilités. Chacun, en le voyant partager l’exaspération générale, a fini par admettre qu’il ne bénéficie d’aucun traitement de faveur, n’a pas accès à la moindre information privilégiée. Pour en faire la démonstration, ou par simple confort, il s’est changé pour adopter un costume de ville."

Yoga

Emmanuel Carrère, 2020

" Simone Weil, encore elle, disait : il y a assez peu de gens, finalement, qui savent que les autres existent. Qui, tout simplement, sont au courant de ça : que les autres existent. La méditation, onzième définition, devrait vous mettre au courant de ça. Si elle ne le fait pas, si elle reste un truc entre soi et soi, elle ne sert à rien : un hochet narcissique de plus. J'ai peur tout à coup que ce ne soit, au moins pour moi, qu'un hochet narcissique de plus. Ça me rend triste."

Histoire d'enfant

Peter Handke, 1980

" L'illumination disparaît, il en reste une élévation et le voyageur se déplace toujours sur la plaine vers la montagne voilée de bleu avec cette pensée à qui nul ne pourrait donner de conclusion : "Je travaille au secret du monde.""

L'Arbre-monde

Richard Powers, 2018

" Ce soir-là, ils se baptisent de noms forestiers, sous la douche bruine des séquoias, sur un tapis d'aiguilles. Au début, le jeu paraît puéril. Mais tout ce qui est art est puéril, tout ce qui est récit, tout espoir et toute crainte humaine."

Routiers

Jean-Claude Raspiengeas, 2020

"Au fil des années, alors que diminuaient sensiblement les distances à parcourir, un certain malaise a gagné les cabines. La traçabilité de leur présence et de leur parcours, par la géolocalisation de leurs camions hyper-connectés, étouffe de plus en plus les routiers, déjà privés de leurs escapades internationales. Ils se croyaient libres ; ils ne le sont plus vraiment. Ils se sentent traqués, fliqués, comme avec un bracelet électronique. En liberté surveillée. Patrons et clients les pistent, suivent leur progression, notent sur-le-champ le moindre écart inexplicable ou imprévu, exigeant une explication immédiate, solide et convaincante."

Mathématiques congolaises

In Koli Jean Bofane, 2008

" La Faim tablait sur le fait qu’elle pouvait toujours, en temps utile, compter sur des alliés sûrs et efficaces qui sauraient prolonger son œuvre, la relayer. C’était des alliés de longue date. Toujours les mêmes et qui avaient déjà, elle le savait, entrepris un début de travail de sape, en profondeur."

Le Maitre d'Armes

Alexandre Dumas, 1840

"- Louise, vous êtes libre de sortir; les cinq minutes sont écoulées; mais vous êtes mon dernier espoir, le seul bien qui m'attache à la vie; comme une fois sortie d'ici vous n'y rentrerez jamais, je vous donne ma parole d'honneur, foi de comte, que la porte de la rue ne sera pas fermée derrière vous que je me serai brûlé la cervelle. 

- Oh ! vous êtes fou !

- Non, je suis ennuyé."


Lévy-Strauss

Emmanuelle Loyer, 2015

"Aucune prise de contact avec les Indiens sauvages ne ma plus intimidé que cette matinée passée avec une vieille dame entourée de chandails qui se comparait à un hareng pourri au sein d'un bloc de glace : intacte en apparence, mais menacée de se désagréger dès que l'enveloppe protectrice fondrait . " La folie apparaît comme un ailleurs de la philosophie, jaugé à un autre dehors : l'exotisme ; l'exotisme mental face à l'altérité de civilisation."

"Il l'a souvent dit : la connaissance ne sert à rien et doit être un but en soi : " Chercher à comprendre, c'est le seul moyen de moins s'ennuyer dans l'existence. C'est la meilleure, peut-être notre seule justification.""

En attendant le jour

Michael Connelly, 2019

"Ils scellèrent leur accord avec une poignée de main et partirent chacun de leur côté."

L'épopée Sibérienne

Eric Hoesli, 2018

"L'exil forcé en Sibérie n'est pas une nouveauté dans l'arsenal répressif de l'histoire russe. Selon les annales, la première déportée aurait été une cloche arrachée au campanile d'une église de la petite ville de Ouglitch, en Russie centrale, en 1591. Pour avoir sonné et prévenu ainsi les habitants de la ville que l'héritier légitime du trône, le tsarévitch Dimitri qui y était emprisonné, venait d'être assassiné par les hommes du tsar Boris Godounov, la cloche fut condamnée à la même peine que les sympathisants du jeune prince : on lui coupa la langue, c'est-à-dire qu'on lui retira son battant, et on la déporta au-delà de l'Oural, jusque dans Tobolsk qu'on commençait alors à édifier sur les terres nouvellement conquises. Pour y être oubliée, et avec interdiction à tout jamais de sonner à nouveau."

La Glass House de Sergueï Eisenstein

Antonio Somaini, 2017

"L'expérimentation qui se solde par un échec catastrophique est l'expérimentation politique de la vie dans l'architecture de verre. Dans Glass House, cette vie dans la transparence, au moment où la transparence devient visible, n'est pas une vie vouée à la contemplation du spectacle cosmique qui entoure la maison (Scheerbart, Taut), ni une vie caractérisée par la glorification de la mobilité et de la légèreté(Khlebnikov), ni encore une vie où la transparence est symbole d'une harmonie dans les relations sociales. La visibilité de tout et de tous déclenche en Glass House l'égoïsme et la haine, et cette expérience se termine avec la catastrophe finale."


Errances

Olivier Remaud, 2019

"Hormis l'impératrice, les professeurs n'avaient aucun supérieur hiérarchique. Ils étaient maîtres en leur domaine et ne voulaient dépendre de personne. Ils n'ignoraient ni leur statut ni leurs privilèges. Ils n'en étaient pas moins fragiles. Dans leurs pérégrinations, les insectes que Gmelin nommait les « cousins » leur piquaient la peau avec d'autant plus d'insistance qu'ils s'arrêtaient souvent afin de reporter des observations sur des cahiers. Ils devaient s'armer de façon conséquente pour se défendre de l'attaque des robustes moustiques. Le botaniste avait dû modifier ses méthodes de travail. Il enroulait autour de sa tête un épais tissu criblé de trous et écrivait avec des gants de femme auxquels il ajoutait des gants d'homme. Il chaussait des bottines en cuir. Elles étaient si rigides que, le soir, il soulageait ses ampoules dans un grand bassin de vinaigre. L'essentiel était d'épaissir la couche protectrice. De loin, son harnachement boursouflé le faisait ressembler à une créature venue d'un autre monde."

Delirium

Philippe Druillet, 2013

“Gustave Doré, Gustave Moreau, Gustave Flaubert. Mes maîtres. Quand j'y pense, je dois être attiré par ce prénom. Après La Nuit et Chaos. je voulais arrêter la bande dessinée. C'est Philippe Koechlin, de Rock & Folk, qui a insisté. Il voulait que je lise Salammbô de Flaubert. Il était persuadé que c'était pour moi. Je l'aime bien Philippe, mais là, je l'envoie bouler. Le pire, c'est qu'il revient à la charge. A cette époque, on se voit toutes les semaines, et il remet ça à chaque fois. Il commence à me faire chier avec son Gustave. Au bout d'un an, à l'usure, je craque. Je m'arrête chez Tschann, libraire à Montparnasse. J'achète Salammbô dans une édition au format de poche et commence à lire les premières lignes : « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. » J'ai un vertige. Je suis emporté."

🤣

Frédéric Beigbeder, 2020

"L'humour, le vrai, n'améliore pas le monde, il le rend brièvement supportable, le temps d'un hoquet. Desproges n'essayait jamais de plaire, ni de sauver la France.

Dans la démocratie de divertissement, un président de la République est moins important qu'un bouffon car il doit supporter la caricature quotidienne, alors que le bouffon est incritiquable ; celui-ci est donc un tyran."


Le Consentement

Vanessa Springora, 2020

“Je tente immédiatement de refouler cette idée. Mais le venin est entré, et il commence à se répandre."

2019

Le coeur de l'Angleterre

Jonathan Coe, 2019

“Il monta le volume et appuya sur play, bientôt, la voix hantée et sonore de Shirley Collins s’élevait dans la nuit; elle chantait la ballade que Benjamin n’avait jamais osé réécouter depuis l’enterrement de sa mère.

Adieu vieille Angleterre, adieu

Adieu richesse sonnante et trébuchante

Si le monde s’était arrêté dans ma jeunesse

Je n’aurais jamais connu ces tristesses.


Il avala une dernière gorgée de vin mais il savait qu’il avait beaucoup trop bu pour la soirée et qu’il était temps de dessoûler.”

Un voyage / Marseille-Rio 1941

Germaine Krull, Jacques Rémy, Olivier Assayas, Adrien Bosc

” N’oubliez pas encore une chose. Le forçat est un gars de fantaisie. Il a aimé la vie, les femmes, le vin, l’argent et l’aventure. Trop probablement. Un reste de brigandage, de goût pour la violence, reflet des instincts humains les plus profonds sommeille au fond de sa nature. Et voici ce même homme condamné à la plus dure des tortures: l’inaction. Il aura désormais pour la vie, vous m’entendez bien, pour la vie, Saint-Laurent, ses trois pelouses, ses cases, ses éternelles fleurs et sa menaçante prison pour éternel paysage. C’est plus tragique que tout le tragique et tout est enfermé dans ces deux mots terribles : toujours et jamais. ” (J.Rémy)

Laissez bronzer les cadavres !

Jean-Patrick Manchette, Jean-Pierre Bastid, 1971

La balle de 22 fit un petit trou dans la toile. La détonation ne fut guère plus impressionnante que le claquement d’un fouet. Une corneille protesta dans la vallée. Luce éclata d’un petit rire rouillé, assez analogue au cri de la corneille.”

Fondation

Isaac Asimov, 1951

“En l’an 12 065, Trantor est la capitale de la Galaxie, un empire qui règne sur 25 millions de planètes habitées. Pourtant sa déchéance est inéluctable. Grâce à la ” psychohistoire “, une nouvelle science, le savant Hari Seldon a calculé que l’empire n’avait plus que cinq siècles à vivre. Exilé sur une lointaine planète, il va s’efforcer de réduire à mille ans les trente mille ans de barbarie qui doivent suivre la chute de Trantor.”

Les trente “Empereurs” qui ont fait la Chine

Bernard Brizay, 2018

“Les chapitres du Livre de la voie et de la vertu, le Laozi, ressemblent à de courts poèmes en prose, une « superbe prose classique […] qui jaillit comme le souffle de l’univers entre le Ciel et la Terre », écrit joliment Claude Larre. « Poétique toujours, énigmatique parfois, ce n’est pas un texte d’abord facile », avoue encore Cyrille Javary. Lequel ne manque pas de citer Henri Michaux : “Rien n’approche du style de Laozi. Laozi vous lance un gros caillou. Puis il s’en va. Après, il vous jette encore un gros caillou, puis il repart; tous ces cailloux, quoique très durs, sont des fruits, mais naturellement le vieux bourru ne va pas les peler pour vous.””

Tokyo Vice

Jake Adelstein, 2009

Parfois, dans la montagne, les animaux finissent par dessiner un sentier à force d’emprunter toujours le même chemin. Si tu ne le sais pas, tu es tenté de croire qu’il a été tracé par des hommes parce que ça en a l’air. Si tu suis ce chemin, le sentier des bêtes, tu n’aboutiras nulle part. Les gens se perdent dans la nature, ils s’enfoncent de plus en plus et finissent complètement perdus. Parfois ils ne peuvent plus faire demi-tour et ils meurent. Cette voie n’est pas faite pour les hommes, c’est un détour mortel. Es-tu sûr de vouloir t’y aventurer ? Car cela ne te mènera pas là où tu veux aller.”

Passer, quoi qu’il en coûte

Georges Didi-Hubermann, Niki Giannari, 2017

Mieux vaut entendre la leçon de “ceux qui savent encore être en mouvement “.”


L’homme au boulet rouge

Jean-Patrick Manchette, Barth Jules Sussman, 1972

Le Vaseux est à plat ventre. Son visage est luisant de sueur. Ses mains tremblent. Il regarde le soleil qui baisse sur l’horizon. Combien de minutes, encore, avant le crépuscule ? Dix, vingt… Davantage peut-être. Mètre par mètre, les gardes se rapprochent.

T.C. Banchee ne bouge toujours pas.”

Tristes tropiques

Claude Lévi-Strauss, 1955

“Est-ce alors que j’ai, pour la première fois, compris ce qu’en d’autres régions du monde, d’aussi démoralisantes circonstances m’ont définitivement enseigné? Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.”

La vie solide

Arthur Lochmann, 2019

“Il y a également un bénéfice psychique à cette confrontation au réel et à la matière. Quand on a des tendances narcissiques, ce qui est une chose commune à notre époque, la relation à la matière et aux objets matériels constitue un bon antidote à ce « fantasme de maitrise qui imprègne la culture moderne’ », en imposant une véritable compréhension de l’autonomie des objets. Car, s’il y a une satisfaction qui relève de l’orgueil à contempler son ouvrage, ce n’est pas une fierté de soi mais de son travail, c’est-à-dire de quelque chose qui est hors de soi. Réaliser un tel ouvrage qui répond à des critères de qualité objectifs, cela permet de sortir de soi, de s’oublier derrière son ouvrage. Cette extériorité offre un rapport plus objectif aux défauts, aux imperfections. Les critiques du résultat sont moins perçues comme des attaques directes que comme des incitations a la correction des erreurs.”

La suplication

Svetlana Alexievitch, 1997

“Les bus roulaient. Le ciel était d’azur. Où allions-nous ?”

Où atterrir ?

Bruno Latour, 2017

Sil ne faut pas chercher la clef de la situation actuelle dans un manque d’intelligence, il faut la chercher dans la forme des territoires auxquels cette intelligence s’applique. Or c’est justement là que le bât blesse : il y a maintenant plusieurs territoires, incompatibles les uns avec les autres.”

Nos cabanes

Marielle Macé, 2019

“La terre n’est pas muette donc. Mais comment entendre ses idées ?”

Les enfants de Staline

Masha Cerovic, 2018

“Chaque brigade structure ainsi son territoire, organisé autour de la forteresse du camp de forêt. Son emplacement est soigneusement choisi pour tirer au mieux profit du terrain, de telle sorte que le camp soit camouflé et protégé, mais aussi facile à évacuer dans l’urgence, en un endroit sec et légèrement surélevé pour protéger des inondations, mais à proximité d’une source d’eau potable. Il peut être adossé à une rivière, ou installé sur une île dans les marécages, dans un massif forestier dense; les partisans s’efforcent de ne laisser qu’une seule voie d’accès, camouflée, par exemple à travers les marécages. L’été, les camps sont faits de salaši, huttes provisoires construites avec des branchages et de l’écorce de sapin ou de bouleau, qui protègent peu du vent et de la pluie, à moins d’être recouvertes par une toile de parachute par exemple. Les zemljanki* sont utilisées surtout en hiver. Il s’agit d’abris semi-enterrés qui accueillent en général entre 10 et 30 hommes. Une fosse de un à deux mètres de profondeur est creusée à l’abri des arbres avant que la terre gèle, camouflée par des feuilles et des branchages, au point d’être pratiquement invisible à qui en ignore l’existence.”

Les dévorantes

Marinca Villanova, 2019

“Louis et Emma attribuent à cette chute de nombreuses séquelles qui les aident à accepter le caractère d’Angèle. Ils la disent lunatique, incompréhensible, incohérente, c’est à cause de sa chute sur la tête. Elle s’acharne à faire tout mal, la chute aussi. Elle est limitée dans les apprentissages, la chute toujours. Cette enfant n’est pas comme eux. Ils essaient de lui inculquer leurs valeurs, de l’intéresser à l’art, à la musique, de lui lire des histoires, mais elle refuse, ce n’est pas ce qu’elle veut.”

L’art français de la guerre

Alexis Jenni, 2011

“Depuis toujours notre Etat ne discute pas. Il ordonne, dirige, et s’occupe de tout. Jamais il ne discute. Et le peuple jamais ne veut discuter. L’Etat est violent; l’Etat est généreux; chacun peut profiter de ses largesses, mais il ne discute pas. Le peuple non plus. La barricade défend les intérêts du peuple, et la police militarisée s’entraîne à prendre la barricade. Personne ne veut écouter; nous voulons en découdre. Se mettre d’accord serait céder. Comprendre l’autre reviendrait à accepter ses paroles à lui en notre bouche, ce serait avoir la bouche toute remplie de la puissance de l’autre, et se taire pendant que lui parle. C’est humiliant, cela répugne. Il faut que l’autre se taise; qu’il plie; il faut le renverser, le réduire à quia, trancher sa gorge parlante, le reléguer au bagne dans la forêt étouffante, dans les iles où personne ne l’entendra crier, sauf les oiseaux ou les rats fruitiers. Seul l’affrontement est noble, et le renversement de l’adversaire; et son silence, enfin.”


Les phobies ou l'impossible séparation

Irène Diamantis, 2003

“J’ai peu évoqué dans ce livre les phobies d’impulsion
pour lesquelles depuis on m’a souvent consultée. Ces phobies - la crainte
irrésistible de se jeter par la fenêtre ou de prendre un couteau et de
déchiqueter quelqu’un sont vécues comme honteuses pour le sujet qui, le plus
souvent, les tient secrètes, se croyant anormal. Cette frayeur extrêmement
douloureuse à vivre, que je nomme « hémorragie de l’imaginaire », n’entraîne
jamais de passage à l’acte: seule l’anticipation par la pensée et la
supposition que cela pourrait arriver est terrifiante.”

Sérotonine

Michel Houellebecq, 2019

“C’est un petit comprimé blanc, ovale, sécable.”

La Grande Arche

Laurence Cossé, 2016

"Votre père a gagné le concours international Tête-Défense, explique Robert Lion. L'adolescent ne sait rien du concours, il ignorait que son père était concurrent. J'appelle du palais de l'Elysée, dit Lion, de la part du président de la République française. Cette fois, j'ai compris, dit Spreckelsen junior, c'est une blague. Lion a le plus grand mal à le persuader du contraire. Ce qu'il y a, dit l'adolescent, c'est que mon père n'est pas la; et je ne sais pas du tout ou il est. Monsieur et madame von Spreckelsen sont à la pêche. Ils ont pris quelques jours de vacances au bord de la mer, dans le Jutland, croit savoir le garçon, mais ils n'ont pas dit où. Les quatre enfants sont à la maison, à Hørsholm. Enfin, dit Lion, on doit pouvoir appeler votre père au téléphone. Il faudrait qu'on sache ou il est, dit l'adolescent. Ce n'est pas grave, vous savez, ma mère et lui reviennent après-demain."

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